Cadre numérique européen: nouveaux caps culturels à l’international

By Damien Helly

This blog post in French is part of a series of contributions prepared by Damien Helly in the framework of his participation in the 2021/22 session of the Cycle des Hautes Etudes de la Culture (CHEC) (High-Level Cultural Studies Network) of the French Ministry of Culture. This piece looks back at the achievements of the 2022 French Presidency of the EU in the field of digital regulation, and at its implications for EU international cultural relations and foreign policy.

 

 

La Présidence française de l’UE, qui restera historiquement marquée par la guerre en Ukraine, se termine aussi avec plusieurs accords politiques provisoires sur la régulation des marchés numériques et des plateformes. Souvent, fière et forte de son modèle, la France a été à l’avant-garde des initiatives législatives européennes sur le numérique, en proposant aux autres Etats-Membres une transposition de sa législation nationale. Ceci dit, comme nous l’a rapporté un négociateur français du DSA, Paris a aussi – un peu – compris qu’il était parfois bénéfique d’apprendre des expériences de ses voisins et camarades européens.

 

Le cadre régulatoire numérique européen – qui s’applique à la France et à tous ses Etats-Membres –  est en évolution constante rapide, et à géométrie variable : il est aussi, au-delà des logiques de marché intérieur, le reflet d’une posture publique européenne commune sur la diversité culturelle et notre rapport au monde – réel, internet, Metaverse-, dont les contours sont devenus au fil des ans le fruit des négociations entre membres et institutions de l’Union. 

 

L’UE a adopté successivement une stratégie digitale, une stratégie sur l’IA et plus récemment une boussole numérique pour 2030. Les efforts déployés par les Etats-Membres démontrent que le niveau européen est désormais devenu le niveau pertinent de régulation des opérateurs numériques (contrôleurs d’accès, diffuseurs), et du dialogue culturel international qui lui est associé.

 

 

L’arsenal régulatoire numérique européen tente de répondre à des enjeux culturels

 

Les enjeux culturels des transformations numériques sont parfois communs au reste de l’économie (régulation de la concurrence et des marchés, équité des opérateurs et protection des consommateurs), mais aussi parfois spécifiques au secteur de la culture (diversité culturelle, protection et exceptions, financement du secteur culturel et de la création). 

 

  • La directive SMA (2020) sur l’audiovisuel (dont la numérisation, qui accentue la convergence des media, impose des ajustements permanents) et son application dans les pays membres est suivie au niveau européen, notamment par l’Observatoire européen de l’audiovisuel (une structure historique attachée au Conseil de l’Europe – et pas l’Union européenne) dont l’UE est membre et financeur. 
  • Le règlement DMA concerne l’égalité de traitement des opérateurs à tous les niveaux de leur activité (le level playing field). L’enjeu culturel surgit lorsque l’inéquité concurrentielle menace la diversité culturelle et/ou devient un manque à gagner pour le financement des secteurs non rentables de la culture ou justifiant l’application de l’exception culturelle.
  • Le règlement DSA concerne les grandes plateformes dans leur rôle de contrôleurs d’accès. Dans ce cas, les enjeux portent l’exigence de concilier liberté d’expression et ordre public, en régulant les exclusions et les interdictions de contenu non acceptables ou contraires aux valeurs européennes. 
  • Le règlement MICA concerne les crypto – monnaies et autres moyens numériques de paiement (jetons, tokens, portefeuilles et transactions numériques). Pour le culturel, les enjeux sont liés à la reconnaissance et à la régulation de la valeur des œuvres artistiques numériques (NFT entre autres). Au-delà du secteur culturel, il s’agit de codifier la valeur des moyens numériques de paiement en général.  

 

D’autres dispositions règlementaires ayant des implications pratiques pour le secteur culturel ont été prises au niveau européen, notamment dans le domaine de la cybersécurité. Dans ce domaine, on peut citer : les dispositifs de cyber sécurité et de sécurité de l’information (important pour les media et les organisations qui coopèrent avec le programmes de financements des institutions de l’UE) ; le règlement DORA qui porte sur les établissements financiers (important pour les organismes de transfert, de crédit et de gestion collective et de retraite dans le secteur culturel) ; mais aussi des programmes de recherche Horizon Europe sur la sécurité civile, ouverts aux acteurs culturels et créatifs (lutte contre les trafics illicites de biens culturels, sécurité des grands évènements culturels, gestion des risques de désastres sur les sites patrimoniaux).

 

Enfin, les législations sur les droits d’auteurs et droits voisins et sur la propriété intellectuelle sont examinées et discutées au niveau européen afin d’adapter les cadres nationaux aux nouvelles réalités numériques. La législation européenne sur les droits d’auteur consiste en un acquis de 11 directives et ses aspects numériques, dans le cadre de plusieurs conventions internationales, lui imposent des mutations constantes. La jurisprudence de la cour de justice de l’UE peut aussi avoir des conséquences majeures sur les systèmes nationaux de répartition des droits et le financement du secteur de la culture en France et en Europe. 

 

 

Culturel numérique et action extérieure: priorités d’actions européennes communes

 

Le dispositif numérique de l’UE présenté brièvement plus haut a, on le voit, des implications fondamentales pour l’action culturelle extérieure de la France (et de tous les États Membres de l’UE) et a fortiori les relations culturelles internationales de l’Union européenne.  

 

Le réseau culturel français et européen, notamment via le réseau EUNIC des instituts culturels de l’UE- devra donc à l’avenir, dans le cadre de ses actions bilatérales et multilatérales,  développer de robustes fonctions d’information et de dialogue avec les partenaires internationaux sur la mise en œuvre des modèles culturels européens du numérique. 

 

La rapidité des transformations technologiques implique aussi une veille européenne conjointe – pour mutualiser les coûts et optimiser les ressources – sur les économies culturelles numériques des pays partenaires ainsi que des programmes ambitieux de partage et gestion des connaissances dans ces domaines. Les négociations commerciales et diplomatiques sur les systèmes de droits d’auteur et le rôle de l’intelligence artificielle sont un exemple parmi d’autres. On pourrait suggérer, entre autres, des initiatives européennes de coopération internationale dans les domaines suivants:  le développement regulatoire du Metavers (un Metavers régulé à l’européenne); les contenus européens du Metavers -y compris dans leur dimension linguistique; la découvrabilité des contenus, à l’instar des programmes développés par le Québec et la France; l’inclusion de chapitres culturels digitaux dans les accords commerciaux

 

L’arsenal normatif de l’UE dans le domaine culturel et numérique représente aussi un extraordinaire champ de coopération internationale et de dialogue interculturel – fondé sur l’écoute et le partage – sur la régulation de l’internet et les paramètres normatifs du Metaverse. Tandis que la “Boussole numérique” de la Commission affirme que le degré de numérisation d’une société est un facteur d’influence mondiale, il conviendra de trouver les bons équilibres et d’éviter les écueils d’un néo-colonialisme numérique.

 

A cet égard, il sera impératif que la stratégie européenne de connectivité mondiale, le “Global Gateway” annoncée fin 2021 (et par ailleurs alignée sur les efforts de lutte contre le changement climatique), se dote d’une composante culturelle explicite robuste et assumée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

 

 

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